"Le commencement de la fin"
Ce jour-là, il y a exactement 200 ans jour pour jour, le 24 juin 1812, la Grande Armée de Napoléon Bonaparte franchissait le Niémen… « La seconde guerre de Pologne est commencée, annonçait l'Empereur à ses soldats, /…/ elle sera glorieuse aux armes françaises comme la première. » Hélas, il ne savait pas encore que c'était le début de la fin.
Cependant c'est Napoléon, fort superstitieux lui-même, qui est frappé d'un mauvais présage la veille de son passage du Niémen, le 23 juin : un lièvre passe entre les jambes de son cheval et l'empereur se trouve par terre. « Nous ferions mieux de ne pas passer le Niémen », dit Berthier à Caulaincourt, qui est visiblement aussi superstitieux que l'empereur. Une autre voix s'élève : « Ceci est d'un mauvais présage ; un Romain reculerait ». Napoléon restera morose mais ne reculera pas.
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Le soldat de l'armée napoléonienne n'est pas moins superstitieux que l'empereur lui-même. L'Italien Laugier écrira le 2 juillet: « Italiens, nous avons nos superstitions. /…/ Les convois en retard, la crainte d'une lutte prochaine, la perte d'une grande quantité de chevaux, un malaise général, l'aspect menaçant d'un ciel qui s'embrase au moment même où nous pénétrons en Russie, nous paraissent de tristes présages. » En effet, ces prémices du désastre à venir sont beaucoup plus préoccupantes que la chute de cheval de l'empereur… De plus, les hostilités n'ont pas encore commencé que les vivres manquent déjà : « … j'ai le plus grand besoin de vivres », écrit Napoléon au général Hogndorp, gouverneur de Koenigsberg, le 23 juin. |
Et pourtant ce n'est ni l'Espagne, ni encore moins l'Egypte, ni même le Sud de la Russie. Dans cette contrée-là on ne se plaint pas du beau temps, on en profite, car cette chaleur ne sera que de courte durée. En effet, dans la nuit du 25 juin les vœux de tous ceux qui se plaignaient de la chaleur seront pleinement exhaussés : les pluies diluviennes s'abattront sur le pays en refroidissant l'air, en faisant gonfler les rivières et en transformant le sol en boue fangeuse. Les chevaux mal nourris, broutent des herbes mouillées et en crèveront par milliers.
Le même jour, le 24 juin, les grand-gardes cosaques disparus le matin, Napoléon occupe la ville de Kovno (Kaunas) abandonnée par les Russes sans combat. Dès ce moment, les Français ne voient plus devant eux âme qui vive. « Devant nous c'était le désert, une terre brune et jaunâtre à la végétation étiolée, et des forêts lointaines à l'horizon », écrira un des survivants de la campagne.
Néanmoins, Napoléon s'apprête à jouer le rôle de César : écraser l'armée russe d'un coup terrible et imposer sa volonté au « Grec ». Alors Napoléon pourra écrire dans le bulletin de l'armée le fameux « Veni, vidi, vici » ou quelque chose de ce genre… Hélas, les Russes lui réservent un autre rôle. Ils lui font croire que la bataille aura lieu à Vilna (Vilnius) où se trouve l'armée de Barclay de Tolly. Prévoyant une victoire rapide et complète, Napoléon se précipite sur Vilna mais l'armée de Barclay se dérobe sans oublier de détruire tout ce qu'elle peut, surtout les vivres. L'empereur des Français doit se rendre à l'évidence que dans ce pays-là la guerre ne pourra nourrir la guerre.
Ainsi, désinformé par l'adversaire, Napoléon sera surpris de constater que la ville n'est pas et ne sera pas défendue. Le rêve d'une « blitzkrieg » s'éloigne. « L'espoir perdu d'une grande bataille avant Vilna était pour lui (Napoléon) un vrai crève-cœur », écrira Caulaincourt.
A partir de ce moment, Napoléon comprend qu'Alexandre n'a pas menti en disant qu'il pourrait reculer jusqu'au Kamtchatka, il comprend que les Russes vont mener une guerre des Scythes en lui réservant le rôle non pas de César mais d'un certain Darius lequel n'a jamais pu rattraper les Scythes fuyant devant les troupes innombrables des Perses. Darius n'ayant su livrer aucune bataille, a néanmoins perdu dans sa poursuite plus de 80 000 hommes.
Contre son gré, Napoléon va arborer ce rôle qui finira par lui coller à la peau tellement bien que même à Borodino il doutera jusqu'au dernier moment que la bataille ait lieu. La veille, il fera des cauchemars en rêvant que l'armée russe se dérobe de nouveau en abandonnant Moscou*. Un rêve prémonitoire en quelque sorte car les Russes après avoir livré cette bataille si attendue par Napoléon battent en retraite le lendemain en abandonnant leur capitale aux Français.
Mais le 24 juin 1812 Napoléon ne le sait pas encore. Ce jour-là, il y a exactement 200 ans jour pour jour, il est encore César. Sa grande armée composée à l'instar de l'armée romaine de nombreuses cohortes étrangères est en train de franchir le Niémen… Alea jacta est.
S. de Sertati
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*A.Dumas « Napoléon ». (E. Tarlé donne une version quelque peu différente : « Il /Napoléon/ sortait à tout instant de sa tente pour voir si les feux brûlaient toujours dans le camp russe » : E. Tarlé « Napoléon t. II, Edition du Progrès, Moscou, 1957, p. 45)
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